lundi 26 novembre 2007

Les Yeux de Lora

Tes yeux sont si pervers qu’en m’y baignant dedans
J’ai vu plein de lunes venir s’y abîmer
S’y perdre à jamais tous les paumés
Tes yeux sont si pervers que j’y perds le nord c’est évident

Au pied des mangeoires c’est la neige fondante
Puis ton beau sourire s’illumine et tes yeux scintillent
L’hiver court les rues en camisole de ville
La nuit n’est jamais noire elle est ma confidente

Les zefs soufflent en vain les peines de l’amour
Tes yeux plus beaux que lui dès qu’un pleur y coule
Tes yeux rendent folle la vague d’avant la houle
Le vitrail n’est jamais si fragile qu’à ton humour

Tantine des Mille bonheurs ô havre paisible
Mille et une fois sauvas-tu les tiens d’un péril certain
L’heure est plus soucieuse qui sourit entre tes mains
La pupille dilatée d’espoir de voir enfin l'inaccessible

Tes yeux dans la pénombre se ferment à l’écart
Par où se multiplient toutes les choses de la Vie
Alors que le sein en feu elle respire toute ravie
Sous la langue du Chat pendu dans ton placard

Une lèvre suffit au mois de Mars des paroles
Pour tous les refrains et pour tous les soupirs
Juste assez d’espace pour se faire un empire
Il leur fallait tes yeux pour rêver de farandoles

L’enfant émerveillé par les grands livres
Ouvre les siens tout aussi fixement
Quand tu me fais des clins d’oeil oh mais quel événement
On dirait que la pluie tombe parce qu’elle est ivre

Abritent-ils des lueurs dans cette mouvance où
Des bestioles se télégraphient d’un mur à l’autre
Je suis prisonnière de la toile qui est la nôtre
Comme une sirène qui attend en vain un rendez-vous

J’ai dépossédé cet oeil de lynx de son zircon
Et j’ai rongé mes ongles jusqu’à peau crevassée
Ô refuge cent fois abandonné puis caressé
Tes yeux sont ma Joconde mon Odyssée mon Rubicon

Il vint qu’un jour la cybersphère se déchira
Quand une lune d’eau émergea de l’ombre de Saturne
Moi je voyais s’iriser au fond de ce beau Nocturne
Les yeux de Lora les yeux de Lora les yeux de Lora

vendredi 2 novembre 2007

Pour un jardin de mai


Au milieu d’un jardin de mai
nos larmes coulent
comme une pluie qui tombe
de nos yeux sans artifices
sur nos joues en feu

J’ai navigué longtemps
à rebours de ta proue
à travers les remous de ton haleine
et là-bas au large du hasard
j’ai déroulé les voilures nonchalantes
pour reprendre l’élan de tes bras nus
là même où tu l’avais laissé choir
je connus le sort d’un jardin de mai

Nuages nus au-dessus de nous
crevés dénudés remués
poussés par notre souffle
en tornades torsadées
décolletées entremêlées
jusqu’au cœur de notre peine
de notre effort de toute évidence

Dans un geste superflu
nous avons refusé de mourir en plein hiver
pour ne pas échapper au rêve
que nous avons fait ensemble
de revivre le printemps

Sur des îles jaillissantes nous avons tant de fois
recommencé la folle danse de nos coeurs brisés
jusqu'à nous assoupir
entre rumeur de lumière
et monde en sursis
 

lundi 29 octobre 2007

Le canot fantôme

Huards et bernaches s'enfuient toujours plus au Nord
Car ici se décomposent les poissons naguère argentés
Et flottent à la dérive leurs carcasses à ciel ouvert
Sur de grandes taches d'huile et d'essence mordorées.

La ramescence soudaine des longues herbes phosphatées
Repousse les enfants à jouer désormais hors des plages;
Seule dans les sous-bois poussiéreux la chouette assoiffée
Supplie le soleil de scinder les sources aux flancs des rochers.

J'avironne doucement du bout des ailes à peine déployées,
Caressant l'eau noire et profonde des fééries matinales;
La mauve demoiselle repose un moment sur mon genou plié
Et disparaît aussitôt comme un feu follet dans la braise.

Opiniâtre, le castor atavique s'apprête déjà à trimer dur,
Dévorant à la nage beau temps mauvais temps les lieux marins
Où comme un dieu trempé au pied des héronnières désertes,
Il érigera ses palais silencieux à l'abri des gouffres humains.

Et dès lors je me baigne transparente dans l'azur dépeuplé
Entre les algues bleues, les nénuphars fanés et les criques,
Noyant des rêves désolés sous le chavirement des heures
Dans les anses tranquilles et l'ombre des baies polluées.

J'aurais voulu apprendre aux enfants les fleurs écumeuses
De l'onde nivéale jusqu'en ses fêlures dorénavant sanglantes;
Des poissons dansant sous les rayons coiffés de lumière
Au fond de leurs ivresses et au coeur de leurs joies innocentes.

Parfois aussi j'aurais voulu montrer à leurs pères téméraires
Comment il est néfaste de posséder plus d'argent que de tête,
Alors que leur inconscience meurtrière ne se lasse point, hélas!
D'ignorer les rythmes de la vie et de céder à ceux de la mort.

Lac McGregor, (Outaouais) Qué, 1978

dimanche 1 juillet 2007

Pour un cri

« Aimez-vous la terre à ce point? »Albert Camus – L’Étranger

Tout un passé lumineux se fige au contact de la réalité. Que puis-je, moi, pauvre étoile vacillante, en face des flots qui éveillent mes rêves à l’abandon de la vie?

Il est des spleens qu’une enfant tourmentée ne peut exprimer d’aucune façon au vent rageur de la ville. Mais, debout dans un champ qui s'étend au beau milieu d'une île enchantée, elle conserve précieusement le souvenir de ses courses folles parmi l'immensité jaune des fleurs sauvages, de ses rires coulant comme des grelots à travers des doigts de fées, un matin d'été.

Il est aussi des mélancolies à chevelures nocturnes qu'un poète peut goutter dans le tumulte profond de ce monde emmuré de sécheresse. Pour lui, perdre de vue son enfance, c’est un châtiment qu'il ne mérite pas et dont il ne se consolera jamais. Mais vient pourtant le jour, où il a conscience que son enfance a chaviré pour toujours quelque part entre le néant et l’infini. A partir de ce jour-là, sa bouche n’a plus que des cris silencieux et des pleurs refoulés.

C’est un de ces cris qui m’a échappé au moment où toute cette innocence, cette pureté, cette insouciance se sont entremêlées à tout jamais à celle de la mort qui nous guette. Même quand on a vingt ans.

J’ai eu beau tendre les bras, appeler dans le vide, je ne sais quelle planète a eu les regards les plus sévères envers moi. Le pire mal du poète, c’est que ce cri, si sourd soit-il, ne fait qu’ouvrir encore davantage la plaie béante de sa grande détresse face à toute la solitude du monde qui l'attend.

1964

Premier thème

Ce monde apprivoisé
aux tempes des jours sereins
s'anime devant la peur
de revoir l'audacieux printemps
surgir à l'improviste cauchemar

Ce monde où tout rêve est déchu
entre l'immensité et l'impuissance
où la nature choisit son suicide
où les vagues de son front
vomissent les noyés en pâles floraisons
sur des rivages qu'on avait oubliés

Ce monde où la lumière attend
l'apparition d'une seconde race
où le divorce est le problème
des enfants morts-nés
sans un geste de regret
en secret au fond des âmes

Ce monde où la personne est un numéro
étiqueté trié dénaturé
ce monde où les mains se tendent
vers l'infinie plaisir de vivre
où tous les regards se tournent
vers le côté sombre du soleil

Ce monde où je vis le jour
pour embrasser le marbre des statues
me donne froid dans le dos

Deuxième thème

Mon pays du Levant couche la nuit
aux bord des grands chemins poussiéreux
la tête reposant sur une roche pleureuse
à l'abri cependant des tempêtes altières

Là, tout n'est que bruit de sabots enterrés
fossiles retrouvés et vestiges d'étincelles incendiaires
car mon pays ne s'est levé qu'hier
mais s'endormira encore demain
dès que son peuple en aura fini
de se condamner à la peine de vivre

Troisième thème

De grands albatros fendent l'air
à grands coups d'ailes
afin de dénouer l'impasse de mes peines

Et j'ai la mémoire aiguë
de leur regard indolent
sans savoir pourquoi
il y eut massacre
chez les cormorans

Aux âges les plus révolus
j'ai dû laisser choir
tand de sang dans l'abîme de leur silence
que les blanches lunes
se prirent d'effroi au bord
de l'incohérence et des espoirs perdus

Il m'a fallu mourir six fois
à l'assaut de tous ces beaux oiseaux
pour conserver de leur souvenir
au moins l'image intérieure
de leur ombre sur le sable caressant du désir

Quatrième thème

J'allume le feu de tes yeux
avec la mèche d'un vent tiède
pour que l'arc-en-ciel se déploie
à la naissance de mon ventre entr'ouvert

Hélas! mes gestes de création
ne sont plus que cendres
à l'exception de mes os plantés
en guise de piliers
qui soutiennent encore
nos mensonges dégonflés

J'ai du regard hasardé l'horizon
jusqu'à l'autre bout du monde
et celui de mon enfance
m'est soudainement apparu
comme étranger sur cette terre
qui me fut jadis natale

Cinquième thème

Tant de pensées faut-il ravir au temps
et de rêves chavirés dans l'étang de l'oubli

Aux amours insensées j'ai reconnu
l'orgasme des mots et celui des maux
enfin j'ai dû greffer ma renaissance
aux vagissemennts de l'existence réconciliée

Sixième thème

Aux mains calées de merveilleux tremblements
j'ai ouvert l'éternité à de rares destins
tout comme la nuit fait semblant d'effrayer
l'enfant-poète qui vacille à fleur de peau
au-dessus du gouffre rempli de planètes creuses

Des îlots de terre cuite flottent sur l'eau
de nos chagrins avec des ronds tout autour
et la fleur gémissante comme pour nous consoler
s'ouvre l'âme devant nos yeux ébahis

Effritement grandiose au coeur du cosmos
alors que toujours mains dans les poches
et tellement princier l'enfant attend désinvolte
que se joue le dénouement de la funeste chute
des étoiles-rires

Septième thème

Du livre ouvert à la mauvaise page
mon poème danse sur mes doigts sans anneau
traçant de douces arcanes sur mon visage
avec toutes les ruses et toutes les muses
de l'enfance qui passait justement par là

Ô, hasard, je cueille la rose endormie
pour la donner quand même en pâture
à la bête qui l'étranglera peu de temps après

Cette rose fauve qui fait encore pleurer
d'innocence et de naîveté
les rivières et les grands fleuves
qui traversent des déserts si immenses
qu'elle n'a pas assez de mon épaule
pour y épancher ce flot d'épines au pied

Huitième thème

Aux bras des hommes
les enfants se sont pendus
tragiquement
et dans leurs rêves assassinés
on a retrouvé
des traces puis des vestiges de jouets brisés

Il y avait aussi sur leur corps
la pâleur des aurores flétries
et leur visage encadré d'un halo sans soleil
m'a rappelé tout de suite
la joie morte des anciens bals

D'ailleurs leur bouche entrouverte murmurait encore
l'adieu de ceux qu'on a négligé d'aimer

Mes enfances d'hier et celles d'aujourd'hui
dansent sur ce thème sans ravissement
et hantent mes plus lointaines contrées
enfin celles où mes fantômes sont tourmentés
quand tombe la nuit au pied de mon lit

Neuvième thème

J'ai mille raisons de griffonner
des mappemondes éphémères
sur le dos des continents qu'on attèle
à de vieux caroussels rouillés
comme des chevaux en pleine course

Pour ne plus jamais vouloir conquérir
ce monde archi fou j'ai creusé un trou
et enterré là toutes mes étoiles une à une

Dixième thème

De langueur j'ai crié
et la terre a roulé ses climats
plus de trois fois sur elle-même
pour mieux m'arracher sans doute
aux griffes du néant

J'ai appelé le sable à ma rescousse
et il m'a renvoyé à la poussière
afin d'enchaîner ma voix
à celle de la mer

Je reviendrai demain
causer de l'univers
à l'immensité de ma soif
de toi

Onzième thème

Prestige somptueux des nuits
où les erreurs s'accumulent
exotiques désenchantements
des pianos aventuriers
aux confins des croyances déflorées

Sauvagerie maladive
de ceux dont la prison
n'a d'autres barreaux
que la verticale du temps
pauvres illusions détrompées
aux lèvres closes de l'innocence
j'ai tant de rêves
en route vers l'éternité

Sortilège des nuits lointaines
que les enfants d'hier
se souviennent avec amertume
des promesses du dimanche
reniées dans l'insouciance
des jours de semaine

Tout meurt
au gré des longues escapades
sur le front pavé
des chevelures des ans qui passent

Douzième thème

Doucement je m'éloigne
des pays interdits
de ma jeunesse naufragée
loin de mes civilisations disparues
de mes songes injustifiés
et de ma prosaique mélancolie

Restera la douceur familière
d'un fragile oeillet blanc
comme une inquiétude résignée
dans le jardin de ma mémoire

Puis pour m'enfuir
vers des détroits surgis des glaces
le vaisseau fantôme
de mon intemporelle aventure
larguera les amarres

samedi 30 juin 2007

Abîme de soleil

La seule chose qui prime en ce moment, c'est que je crois aimer, mais il y a toujours cette peur de n'en être jamais digne.

Juin 1965

Premier thème

Tu m'as parlé d'une étoile
entre tes abandons
Serait-ce celle qui me réveilla
dans sa chute la nuit dernière

Deuxième thème

Depuis que les narcisses sont revenus
j'ai de tes contours humides
un souvenir qui ne ment plus

J'ai attendu que vacille ma ressemblance
et c'est ton âme que j'ai aperçue

Comme ton souffle est brûlant
quand souffle le vent de l'ouest

Troisième thème

Et de mémoire j'ai sombré
entre tes bras
pour oublier que tes doigts
me labouraient toute

Entre le sillon de nos lèvres
a coulé le monde
dans la mer immense de nos désirs

Quatrième thème

J'ai dormi longtemps et tu étais là
tout près de mon corps ramassé entre nos seins

Patiente et douce tu attendais
que passe le vent
puis j'ai rêvé de ta bouche sur la mienne

Fallait-il que la lumière subisse tant de clarté
pour que ta main se creuse un nid
sur le vaste continent de ma chair

Cinquième thème

Cadélabres d'automne aux gestes enflammés
où pendent des lambeaux de mortes saisons
de ces cendres sauvages
entre la tristesse déchirée
et la sérénité périmée
je ressens je ne sais quoi de délicieux
pour les avoir toutes oubliées